Parmi les musulmans, on croit depuis longtemps que le texte de la Bible a été falsifié. On suppose que l'Ancien comme le Nouveau Testament étaient à l'origine des révélations authentiques de Dieu, mais qu’à une certaine époque, ils ont été modifiés et déformés par les êtres humains. Les musulmans n’ont qu’une vague idée de la façon dont ces changements ont été effectués et quels passages bibliques seraient concernés.
Par contre, les théologiens musulmans s’efforcent de corroborer le dogme islamique de la falsification des textes bibliques au moyen d’arguments tirés de l'exégèse critique pratiquée par les théologiens chrétiens.
Cette accusation de falsification de la Bible est déjà présente dans le Coran. Mais l’accusation lancée contre les juifs et les chrétiens d’avoir tordu le texte n'a certainement pas été au centre des affrontements qui ont opposé chrétiens et musulmans. Le Coran rapporte dans de nombreux passages que Dieu a, à maintes reprises, envoyé de nouveaux prophètes pour ramener à la révélation originelle ceux qui s’en étaient éloignés. Juifs et chrétiens ont, eux aussi, reçu une révélation de Dieu dans le passé, dans leur langue, mais s’en sont
L’avis des théologiens musulmans sur la falsification de la Bible
Dans l'apologétique musulmane cette accusation de falsification textuelle a été lancée à plusieurs reprises et, au fil du temps, s’est développée jusqu'à ce qu'émerge une théorie de la complète falsification des textes bibliques. Les théologiens musulmans ont émis différents avis au sujet de ce qu'il fallait entendre par falsification des textes juifs et chrétiens.
Selon certains exégètes du Coran, les juifs et les chrétiens ont modifié le libellé du texte biblique ce qui fait que donner une fausse interprétation de certaines phrases Cependant, le point de vue musulman sur les proportions de la falsification que le texte biblique aurait subie est devenu de plus en plus sévère avec le temps.
Certains ulémas comme Ibn Hazm (Al-Fissal, Ibn Hazm, 1/229, 237.) pensent que la quasi-totalité des textes actuels de la Torah, des Psaumes et d'autres Livres révélés n'est pas le message authentique laissé par les prophètes qui les avaient communiqués.
Et que la part demeurée authentique dans les livres présents aujourd'hui auprès des juifs est très minime.
Mais l'avis qui semble approprié est celui de ces autres ulémas qui disent que les Ecritures dont la plupart des juifs et des chrétiens d'aujourd'hui disposent et qu'ils présentent sous les noms de "Torah, Neviim et Ketouvim" renferment une partie conséquente des Ecritures originelles, telles que communiquées par les prophètes en question.
La partie non-authentique est la majeure partie mais non pas la quasi-totalité,
Une partie moindre que la partie demeurée authentique mais conséquente,
Une partie moindre encore Ibn Taymiyya a donné préférence à ce dernier avis : Al-Jawâb us-sahîh, 1/319-320).
De nombreux ulémas pensent que les erreurs et contradictions existant dans le texte actuel de ces Ecritures sont dues à des actes délibérés de falsification de ces Ecritures
Quant à l'explication de Ibn Khaldûn. Il écrit :
"Quant à ce qui est dit que leurs savants ont modifié des passages de la Torah conformément à leurs intérêts religieux,
"A Dieu ne plaise qu'une nation parmi les nations falsifie volontairement le livre qu'elle a reçu, révélé à son prophète !"
"C'est par une interprétation erronée ("ta'wîl") (de certains passages) de leur part qu'il y a modification du sens de certaines parties du message donné par Dieu [et non pas par une falsification délibérée du texte même]."
Par contre, une modification des mots a pu se produire de façon involontaire, par manque de rigueur, ou par des copistes ne sachant pas parfaitement écrire. Ceci est possible. D'autant plus que leur royaume a été détruit et que leur groupe a été dispersé en différents horizons. (...)" (Târîkh Ibn Khaldûn,)
Ibn Khaldûn fait apparemment allusion, ici, à la destruction du royaume de Juda par Nabuchodonosor en - 587 : il s'agit en effet d'un tournant dans l'histoire des fils d'Israël et dans la conservation de leurs Ecritures : plus tard, ils tentèrent de reconstituer le texte.
Comme l'a écrit Ibn Taymiyya (et tant d'autres personnes), le grand tournant dans l'histoire de la conservation de ces Ecritures se situe lors de la destruction de Jérusalem par les Babyloniens puis de l'entreprise menée par Ezra (Al-Jawâb us-sahîh 1/310).
C'est en -587 précisément que les Fils d'Israël connaissent la grande catastrophe : l'armée de Nabuchodonosor battra l'Etat de Juda, le Sanctuaire de Jérusalem est détruit, les fils d'Israël habitant Juda sont pour la plupart déportés. Ce n'est que 50 ans plus tard, en - 538, avec la victoire des Perses sur les Babyloniens que les choses changent
Mis à part certaines exceptions, néanmoins, les premiers musulmans mettent moins l'accent sur cette accusation et, en outre, formulent moins de charges concrètes concernant ce qui pourrait être compris comme falsification textuelle.
Mais avec le développement des controverses entre chrétiens et musulmans, ce point a gagné en importance. Il est bientôt devenu commun de penser que non seulement des lettres et le sens des mots avaient été changés dans l’Ancien et le Nouveau Testament, mais qu’une falsification systématique et délibérée de la Bible avait eu lieu.
La «preuve» de cela, a-t-on déclaré côté musulman, réside dans le fait que l’Ancien et le Nouveau Testament avaient annoncé Muhammad (SAWS) comme ultime prophète de Dieu, mais que ces prophéties ont été systématiquement effacées de tous les manuscrits de la Bible.
Muhammad Rashid Rida était l'un des théologiens musulmans les plus influents au tournant du 20e siècle. Il était élève du célèbre Mohammad Abduh, théologien égyptien réformateur et adversaire résolu du christianisme. Il fut actif en tant que mufti et ainsi habilité à prononcer des opinions juridiques.
Pour nous, la manière dont Rashîd Ridâ appréhende le christianisme et la question de la fiabilité de la transmission de la Bible est d'une importance particulière: « ... Ridâ considère les livres de l'Ancien et du Nouveau Testament comme un mélange de mythes, de légendes et d'histoires mêlés au message biblique authentique tel que Dieu l’a révélé ».
Muhammad Abu Zahra, ancien professeur de religion comparée à la célèbre université égyptienne al-Azhar et titulaire d'une chaire à la faculté de droit de l’université du Caire, a été l'un des savants les plus importants du monde musulman du 20e siècle. Ses écrits exercent une grande influence aujourd’hui encore. Abu Zahra donna des « Conférences sur le christianisme» au Caire pour la première fois en 1942.
Abu Zahra croit pouvoir identifier trois raisons à la falsification de la doctrine chrétienne ;
1. Les falsifications des textes écrits à l'époque des débuts du christianisme résultent de la persécution des premiers chrétiens.
2. Les textes produits par les premiers chrétiens ont été influencés par la philosophie néoplatonicienne.
3. Le caractère syncrétique de la religion romaine et la philosophie grecque ont falsifié l'Evangile de l'unicité de Dieu originellement prêché par Jésus, de sorte que le christianisme présente aujourd'hui un mélange d’éléments issus de la religion juive, du paganisme romain et du néoplatonisme.
Ahmad Chalabi (nés entre 1921 et 1924), théologien égyptien, titulaire d'un doctorat en histoire de l'Université de Cambridge, a fait des commentaires détaillés sur le christianisme dans une étude théologique comparative publiée en 1959 sous le titre « Comparaison des Religions » (en arabe: al-muqâranât Adyan). Il aborde des sujets tels que la trinité, la crucifixion, et le salut. Il est cité ici comme exemple d’érudit musulman du 20e siècle.
Pour Chalabi, le christianisme est un mélange d’opinions personnelles de l'apôtre Paul et d’éléments païens qu’il a introduits dans le christianisme. [14] Cet auteur rend également responsables les Evangiles de Luc et de Jean d’avoir « dégénéré » le christianisme.
Des théologiens et philosophes européens, dont le souci commun était de remettre en cause l'authenticité de la Bible (presque unanimement reconnue pendant de nombreux siècles par l'Eglise), Et les arguments trouvés dans leurs œuvres ont été opportunément intégrés au dogme musulman de la falsification de la Bible.
Si même des savants chrétiens de la critique textuelle «prouvaient» la falsification de leurs propres textes, tout cela, pour les théologiens musulmans, constituait la confirmation finale des affirmations du Coran, qui a toujours formulé cette accusation, quoique de manière moins détaillée.
Didier Hamoneau écrit de même :
"La Torah actuelle est le témoin d'un long martyr et d'une immense catastrophe spirituelle, ainsi que la preuve de l'héroïsme de croyants face au désastre. Ceux-ci sauvèrent grâce à Dieu l'essentiel de la Torah, mais elle avait définitivement perdu de sa pureté originelle."
"Cette version actuelle de la Torah doit donc être regardée comme un écho d'une parole divine au milieu d'une œuvre certes humaine mais pathétique et héroïque, en raison du sang pur versé et surtout parce que nous savons qu'au milieu des paroles humaines siègent les Paroles de Dieu ; il est vrai qu'il n'est pas toujours aisé de les distinguer" (d'après La Torah, l'Evangile, le Coran, pp. 55-56).